CHARLES ◮ « au nom du père, du fils et du saint maladroit. »

mon père, dès qu'il est de passage sur terre
un grain de sable, dans l'univers - il croit en dieu à sa manière

Bree n’aimait pas particulièrement les églises. A juste titre, il fait froid toute l’année et à peine tu parles, toutes les personnes présentes peuvent suivre ta conversation. Qui plus est, elle n’était pas le moins catholique ce qui impliquait que cet endroit ne lui parlait absolument pas. Elle détestait d’ailleurs les mariages à l’église, pour le lieu mais aussi pour la longueur intenable de la cérémonie, rien ne vaut un bon vieux rendez-vous à la mairie. Bon, il fallait aussi avouer qu’elle était jalouse de toutes les mariées qui descendaient l’autel, chose qu’elle ne ferait jamais. Son regard se posa instinctivement sur la bague de fiançailles qui ornait désormais son annulaire. Elle ne l’avait pas enlevé, avait trop peur de la perdre à vrai dire. Elle rangea le plan de la ville dans la poche arrière de son short et s’avança plus en avant dans ce monument catholique. Il n’y avait personne, c’en était presque flippant, le début parfait d’un film d’horreur où la blonde se fait décapiter, ou sacrifier, c’était l’endroit parfait. Elle esquissa un sourire en pensant à ce que la scène pouvait donner mais chassa vite cette idée, la partie où elle devait mourir était beaucoup moins drôle. La tête en l’air, observant les vitraux, elle ne s’aperçut pas de la marche, passa à deux doigts de s’étaler sur la pierre froide et austère. Au lieu de ça, elle rencontra, violemment et dans des circonstances qu’elle aurait préféré autres, une table qui se tenait au bout de l’allée.

Son maigre poids ne brisa pas la modeste table mais une statue de la vierge marie, notamment se brisèrent en tombant au sol. « Merde, le petit jésus et sa mère. » Se rendant compte qu’elle avait dit un gros mot dans une église, elle s’excusa immédiatement, allez savoir auprès de qui. « Désolée. Flute l’immaculée conception et sa vierge de mère. » Beaucoup mieux, il fallait l’avouer … Elle se redressa péniblement, tâtant ses hanches quelque peu douloureuses avant de se baisser pour commencer à regrouper les débris. Lorsqu’un bruit attira son attention derrière elle, elle se releva en vitesse. « C’est pas de ma faute, ce n’est pas moi. » Une légère moue apparue sur ses lèvres alors qu’elle se dandinait de droite à gauche, elle ne savait pas mentir. « Bon d’accord c’est moi, mais je n’avais pas vu la marche et … Si ça se trouve c’est un signe de dieu, il trouve les représentations très loin de la réalité ? » Sa voix avait baissé vers la fin, sa justification ne faisant que l’enfoncer un peu plus.

Se marier à l'église et à la mairie, c'est ficeler un paquet
avec un double noeud. On a tellement peur que ça ne tienne pas !

En tant qu'organisateur du mariage, Charles se devait de trouver un moyen d'être partout à la fois. Il fallait qu'il soit en même temps entrain de vérifier le menu du repas de noces et l'arrivée des bouquets qui orneront les tables. Il devait écouter les musiques qui seraient diffusées durant le bal et confirmer les placements de chaque personne invitée. Autrement dit, il n'avait pas une minute à lui depuis que le mariage était annoncé et que la date du Jour-J approchait. Tout devait être absolument par-fait. Comme à chaque fois. Car Charles Exben était quelqu'un de reconnu dans le monde du mariage. Voilà six ans que tout le monde se l'arrachait pour l'organisation d'un mariage, et pour cause : son premier contrat reste encore aujourd'hui le plus gros. Un budget pharamineux, un endroit immense et paradisiaque et, le plus important dans toute cette histoire, un couple des plus amoureux. Car si Charles mettait autant de cœur dans son travail, c'était évidemment pour ces personnes qui avaient décidé de mettre entre ses mains expertes le plus beau jour de leur vie. Dans un sens, la réputation du trentenaire l'avait précédé : il n'avait jamais abandonné, jamais raté, il avait mené tous les mariages à terme durant toute sa carrière. Il suivait la tournure des événements du plan jusqu'au départ en lune de miel des amoureux. Et toujours, les gens avaient en lui une confiance aveugle qui lui faisait chaud au cœur. Malgré tout le stress de ce travail et tout ce qu'il impliquait, Charles y était accroc. Après tout, c'était bien son travail qui l'avait sauvé, qui lui avait fait quitter l'Argentine et qui l'avait aidé à laisser l'alcool derrière lui. C'était devenu sa vie. Il organisait pour les autres ce que lui ne vivra sûrement jamais.

Lorsque Colton vint lui annoncer qu'il faudrait aller vérifier à l'église si elle pouvait accueillir le nombre de personnes nécessaires pour la cérémonie religieuse, Charles prit cela comme une délivrance, l'arrivée du Messi. Il allait enfin pouvoir souffler et être un peu seul, ne plus avoir les beaux-parents de l'un ou de l'une sur le dos et surtout, il pourrait réfléchir. C'est donc tout naturellement qu'Exben donna à Colton son après-midi pour vaquer à ses occupations. Il partit assez rapidement de la maison principale pour se diriger vers l'église, prenant tout son temps sur le chemin. Il avait beau adorer cette excitation, cette appréhension chez les principaux concernés, il devait avouer qu'un peu de calme ne faisait de mal à personne. En route pour le lieu de la première cérémonie, il sortit son portable de la poche de son bas de costume et l'éteignit, d'autant qu'il se rapprochait de plus en plus de l'église. Charles n'avait jamais été croyant, encore moins depuis la disparition de Jason. Mais il n'empêchait qu'il était de ses gens extrêmement respectueux dans certains lieux, les lieux sacrés en faisant partie. Bien sûr, en dehors, il n'hésitait pas à blasphémer ; c'était même un de ses passes-temps favoris. Quoi qu'il en soit, à peine arriva-t-il à l'entrée de l'église qu'un bruit sourd, comme celui d'un objet qui se brise, se fit entendre. Intrigué, Charles s'avança et vit une silhouette familière ramasser des morceaux de statues. Il ne put s'empêcher de sourire et, avança les bras croisés sur la poitrine, il prit un air sérieux. Il s'appuya à l'entrée lorsque Bree se retourna et, presque instantanément, comme avec chez femme avec qui il avait couché, il se l'imagina nue avant de chasser cette image de sa tête. Après tout, il était dans une église, non mais ! - C’est pas de ma faute, ce n’est pas moi. En voyant la moue enfantine de Bree, Charles se dit qu'il allait bien pouvoir s'amuser et durcit un peu plus les traits de son visage. - Bon d’accord c’est moi, mais je n’avais pas vu la marche et … Si ça se trouve c’est un signe de dieu, il trouve les représentations très loin de la réalité ? Exben se retint de rire et, prennent un air solennel, il répondit : - C'était la statue qui était désirée par les deux futurs époux, vous savez ? Et même en laissant de côté cet aspect de la situation, vous allez devoir payer très cher à l'église pour la racheter et surtout vous racheter au prêt du Seigneur Tout Puissant. Charles se rapprocha d'elle avec le même air et une fois très prêt de la jeune femme, il finit par afficher un immense sourire. - Je rigole, je crois autant en Dieu qu'un musulman, vous n'avez rien à craindre avec moi. Sur ce point de vue du moins. Il continua de sourire comme un gosse.

Elle ne connaissait pas grand monde sur cette île, pour ne pas dire personne. C’était parfois difficile, de devoir continuellement s’incruster dans les conversations des autres, répéter son nom, faire comme si tout allait bien malgré le fait qu’elle soit seule et non accompagnée mais portant tout de même une bague de fiançailles. Elle avait plusieurs fois repoussé les avances de quelques hommes un peu trop imbibé d’alcool, se rappelait vaguement avoir chanté un karakoé alors qu’elle-même n’était plus sobre. Ces vacances n’étaient pas vraiment reposantes mais elles restaient agréables, le décor s’y prêtant largement. Excepté celui de cette église, plutôt macabre, qui comptait désormais un fantôme de son passé. Lorsque son regard se leva sur Charles, elle soupira intérieurement, pas besoin de long discours expliquant combien elle était désolée, inutile de donner un faux nom pour que cette maladresse ne lui soit pas associée. Du moins c’est ce qu’elle pensait jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche. « C'était la statue qui était désirée par les deux futurs époux, vous savez ? » Les lèvres de Bree s’entrouvrent légèrement sous la surprise. Elle n’avait pas pensé que cela pouvait être une requête des mariés. « Mon Dieu. » Ce n’était peut-être pas les mots appropriés mais ils étaient sortis tout seul. Elle s’en voulait beaucoup d’avoir brisé quelque chose appartenant à la cérémonie. « Et même en laissant de côté cet aspect de la situation, vous allez devoir payer très cher à l'église pour la racheter » Soit, si telle était la sanction elle rachetait cette immonde statue, surement demandée par la mariée car d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Graham n’était pas vraiment branché par ce genre de chose. Elle s’apprêtait donc à poser la question fatidique du prix lorsqu’il termina sa phrase. « Et surtout vous racheter au prêt du Seigneur Tout Puissant. » Et tout devint clair, il se fichait de sa tête depuis le début le sale traitre. Elle plissa les yeux, grimaça légèrement et lui lança un regard mauvais. Ce qu’elle détestait être aussi naïve !

« Je rigole, je crois autant en Dieu qu'un musulman, vous n'avez rien à craindre avec moi. Sur ce point de vue du moins. » Elle sépara la distance entre eux et frappa son épaule de son petit poing serré. Si elle ne semblait pas avoir beaucoup de force, elle n’en était pour autant pas dénuer, et elle espérait sincèrement lui avoir fait mal. « Espèce de crétin, d’organisateur de mes deux ! » Elle ponctua sa phrase par d’autres légers coups histoire de bien enfoncer le clou. Elle s’arrêta pour le regarder dans les yeux et se rendit compte à quel point ils étaient proches. Elle lui lança un dernier regard mauvais avant de faire demi-tour pour retourner auprès de feu-sa statue. « Vous n’avez pas quelque chose à faire plutôt que de trainer dans une église en plein milieu de l’après-midi. Vous n’êtes pas sensé travailler ou comme ça? » C’était lui l’organisateur, oui ou non ? Parce que ce mariage n’allait pas se faire tout seul. « Ou peut-être est-ce votre travail, de vous occupez des demoiselles en détresse, vous avez l’air d’être assez dur pour faire ce genre de travail. » Elle s’était retournée pour lui adresser cette question et un sourire en coin vint tapisser ses lèvres.

Charles ne put s'empêcher de rire en voyant la grimace sur le visage de Bree. Il ria d'ailleurs de bon cœur et pensa donc que c'était cela la raison aux coups de poing qu'il recevait dans l'épaule. - Espèce de crétin, d’organisateur de mes deux ! Charles l'attrapa alors par les poignets et la regarda avec un air qui voulait tout dire. - Arrêtez, vous allez vous faire mal. Et un nouveau rire. Cette proximité lui plaisait, dans le sens où il savait qu'elle pouvait en être gênée malgré ce qui s'était passé entre eux six ans plus tôt. Certes, ça remontait. Mais il fallait dire qu'elle n'avait presque pas changer durant ces années, si ce n'est qu'elle semblait avoir mûrie. Quand le regard de Charles s'était posé sur elle la première fois, il était persuadé de l'avoir déjà vu quelque part sans trop réussir à savoir où. Mais après avoir fait travailler sa mémoire, il se rappela et il fallait dire que ça ne faisait pas parti de ses mauvais souvenirs. Alors, lorsqu'elle fit demi-tour et qu'elle lui tourna le dos, les yeux de Charles se posèrent automatiquement sur ses fesses, qu'il contempla en ne l'écoutant parler que d'une oreille. - Vous n’avez pas quelque chose à faire plutôt que de trainer dans une église en plein milieu de l’après-midi. Vous n’êtes pas censé travailler ou comme ça? Exben ne leva pas les yeux pour répondre. Après tout, elle ne voyait pas ce qu'il était entrain de faire, non ? Il croisa ses bras sur sa poitrine et répondit, le plus naturellement possible. - C'est justement pour mon travail, que je viens ici, je vous ferais dire. Je dois m'assurer que cette église convient et aux attentes des futurs mariés, et à celles de la liste des invités qui est des plus imposantes. Lorsque Bree se retourna de nouveau vers lui, il leva rapidement les yeux avec un sourire radieux et innocent. Il la détailla tout aussi vite, avant de remettre ses mains dans ses poches, sans cesser de sourire. - Ou peut-être est-ce votre travail, de vous occupez des demoiselles en détresse, vous avez l’air d’être assez dur pour faire ce genre de travail. De nouveau, Charles laissa sortir un rire sonore. Il s'avança une fois encore vers elle et la regarda avec un regard faussement attendri. - Oh ça, tu sais - je peux bien te tutoyer non ? Vu tout ce que l'on a fait ensemble - ça dépend de la fille. Il s'approcha encore un peu plus pour revenir à la proximité qu'ils avaient avant qu'elle ne se dérobe. - Ça dépend aussi du type de sauvetage qu'elle recherche. Si elle s'ennuie.. Je suis pas contre le fait de l'aider.

Charles se recula de lui-même, ne voulant pas ravoir un coup de poing en plus dans son épaule légèrement endolorie - mais plutôt être à l'agonie que de l'avouer ! Il se dirigea vers la grande porte d'entrée de l'église et sortit son paquet de cigarette. A bas les bonnes résolutions. Après tout, personne ne les respectaient jamais, alors pourquoi devait-il le faire ? Il n'avait plus toucher à la cigarette depuis deux mois et s'en sortait plutôt bien. Mais Colton, son assistant et confident, savait qu'il pouvait vite ressentir un manque et qu'il fallait à tout prix qu'il garde un paquet sur lui. Et de fil en aiguille, même si ce manque ne se faisait pas encore ressentir - pas du tout même - Charles ouvrit ce fameux paquet. Il sortit son zippo et alluma la cigarette, adossé à l'ouverture de l'église, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur. A peine eut-il tiré sur la sèche qu'il décida de l'éteindre, conscience oblige. Il souffla sa fumée vers l'extérieur et se tourna vers Bree. - Six ans, quand même. Et tu m'as l'air toujours aussi énergique. A tel point que ça ne me gênerait pas de remettre les couverts. Nouveau clin d'oeil. Exben se releva et s'étira avant de se mettre à faire le tour de l'église. C'était une habitude prise au fil des ans. Il savait toutes les caractéristique que devait avoir une église pour être parfaite d'un point de vue pratique et il se mît à chercher celles de celle-ci. Au bout de quelques secondes, il se tourna de nouveau vers la jeune femme et, avec un regard interrogateur, il lui demanda : - Mais au fait, qu'est-ce qui t'amènes sur l'ile ? Tu es l'invitée de Sophie ou de Graham ?