il est tant de tout recommencer ♦ SWANN

Du haut de mes treize ans, la vie paraît plutôt simple et insignifiante. Je ne me rends pas encore compte que chacun de mes actes auront une influence sur mon futur. Ah, l'enfance a cet avantage. Enfant modèle à l'époque, je suis tranquillement en train de lire un livre dans ma chambre, assise sur un fauteuil recouvert de velours rouge installé près de la fenêtre. Ainsi, dès que je lève les yeux, je peux regarder la mer qui se déchaîne non loin de là. C'est l'avantage de vivre à Southampton, ville des Hamptons. « Swann, descends au salon. » Calmement, je dépose mon Arthur Rimbaud sur le rebord de la fenêtre après avoir pris soin de remettre le marque-page à sa place. Je dévale les escaliers assez rapidement. Mes parents sont assis l'un à côté de l'autre sur un canapé alors que mon grand frère me fait signe de m'asseoir dans l'autre avec lui. Tous les trois ont un air bien sérieux, je n'aime pas trop l'atmosphère de la pièce à cet instant. Ma mère reprend. « Nous avons quelque chose d'important à te dire, ma chérie. » Elle marque un temps d'arrêt. Juste assez de temps pour que Jaxhuem glisse sa main dans la mienne. Il me regarde, l'air grave alors que Papa ne prononce pas un mot, ce qui n'est clairement pas dans ses habitudes. « Papa et Maman ont décidé de se séparer, Swinny. » Je me mets alors à rire nerveusement tout en serrant la main de mon frère. Un peu trop fort, il faut croire car je le vois grimacer. « Encore une décision que vous prenez en vous comportant comme des égoïstes. » Je me lève, lâche la main de mon frère et pars en direction des escaliers. J'entends des bruits de fond que je ne comprends pas. Je ne veux plus les entendre. Je ne veux plus les voir. Je voudrais même ne plus entendre parler d'eux mais c'est impossible ça. Je remonte dans ma chambre et m'assois quelques secondes sur mon lit après avoir claqué la porte. La colère monte en moi et, en quelques secondes, mes meubles se retrouvent débarrassés de tous les bibelots habituellement entreposés. Je me laisse tomber sur le plancher et fonds en larmes. J'entends des pas dans l'escalier. La porte s'ouvre, je reconnais mon frère malgré mes yeux embrumés des larmes. Il s'assoit à mes côtés, essuie mes larmes du revers de sa main et me serre dans ses bras. « Tout ira bien, Swinny. Je te le promets. »

11 SEPTEMBRE 2001. « Citoyens Américains. Aujourd'hui, la fatalité s'est attaquée à notre pays. En effet, New York et Washington ont été victimes d'attentats suicides. Les Tours Jumelles se sont effondrées et nous sommes actuellement dans l'incapacité d'estimer le nombre des individus blessés et décédés... » A ces mots, ma télécommande se scratche sur le sol. Que se passe-t-il ? Il s'avère que mon frère travaille dans une compagnie qui siégeait dans les Tours Jumelles. Il me faut peu de temps pour me saisir de mon téléphone fixe et pour essayer de le joindre sur son portable. « Salut. Vous êtes bien sur la messagerie de Jaxhuem mais je ne suis pas disponible pour le moment. Laissez-moi un message et vos coordonnées si je ne les ai pas déjà. Je vous rappellerais dès que possible. » « Tu m'as menti, Jax. Tu m'as dit, il y a de cela un an, que tout se passerait bien. Et voilà qu'aujourd'hui, j'apprends aux informations que tu es peut-être mort. Tu es un menteur, un fuyard, un lâcheur, un enfoiré, un frère indigne. J'TE DETESTE. » La colère, la rage, la peine... Toutes mes émotions se chamboulaient à cet instant. Je lâchai finalement le combiné et ma mère me rejoignit sur le canapé. Elle me serra dans ses bras, la première fois depuis bien longtemps. Le lendemain, nous eûmes la confirmation : Jaxhuem était mort écrasé par des décombres. La vie ne semblait à présent plus insignifiante. Elle m'apparaissait comme la pire des traîtresses. C'est à partir de cet épisode de ma vie que je suis devenue dépensière, piqueuse des mecs de mes copines et surtout que j'ai foutu le camp de chez moi.

Aujourd’hui, je vis à Fire Island, ville de Manhattan. J'ai été stripteaseuse à New York mais je me suis décidée à arrêter pour enfin commencer à vivre normalement. Je n'ai plus aucun contact direct avec mes parents même s'ils continuent à mettre de l'argent sur mon compte en banque. Le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'ai eu besoin de personne pour me pourrir la vie. J'étais suffisamment capable de le faire seule. Maintenant, je suis consciente qu'il serait tant que je change. Tout ce que j'ai fait avant aujourd'hui n'était pas vraiment vivre et j'aimerais changer cela. L'amour stable, je n'y crois pas trop, je n'ai pas eu un bon modèle avec mes parents mais la balance pourrait pencher de l'autre côté si je rencontre enfin quelqu'un de sérieux.