[R.] With a taste of your lips I'm on a ride, you're toxic.

Quel heure est-il exactement? Dexter ne saurait le dire. Chez Barney avec les Romantics et d'autres amis, ils s'étaient réunis pour fêter ce début de vacances. Et comme d'habitude, la nuit n'avait alors plus vraiment de longueur définie. Alors qu'il buvait une pinte au bar avec un cousin au énième degré de Graham (fort sympathique d'ailleurs), il sentit une présence derrière lui, une présence plus que familière. Il se tourna alors sur son tabouret pour lui faire face. Sutton le regardait, les yeux brillants, un sourire coquin aux lèvres. Il l'attrapa par les hanches, et la plaça entre ses jambes. « Alors belle brune, on est seule ce soir ? » la questionna-t-il, avec un demi sourire carnassier. Par chance Isolde était absente: elle avait prétexté une grosse migraine pour éviter la petite fête. Alors, pourquoi ne pourrait-il pas en profiter? Rien qu'un peu?

Il lui sourit, se leva, et la tira par la main au milieu des danseurs. Bien qu'il ne soit guère bon danseur, il entama quelques pas, mouvant doucement et sans prétention son corps sur la musique assourdissante. Il se colla à elle, frôla ses hanches, son visage. Quand soudain, on la lui retira. Une main le tirait dans le dos, par le pull. Il ne comprit pas tout à fait ce qui se passait, mais à peine avait-il eu le temps de dire ouf que Sutton avait disparu, son visage soudainement farouchement fermé. Dex se retourna alors, alcoolisé comme il était, en rugissant contre celui qui avait osé lui retirer ce moment. « Bordel, pourquoi tu as fait ça?! » A vrai dire, il ne savait même pas à qui il parlait jusqu'au moment où il se retourna et que Graham lui faisait face. « Fais pas ça Dex. Tu sais que c'est pas possible, et surtout pas viable entre toi et Sutton. » Il se retourna et traversa sa foule en lui hurlant « Occupe toi de tes affaires... » Il la chercha du regard pendant plusieurs minutes et la trouva enfin appuyée contre le mur du fond, près des toilettes. Les bras croisés contre la poitrine, et ayant l'air tourmenté. Il s'approcha à grand pas, se plaça devant elle, lui tenant doucement les hanches et lui souffla « Désolé pour ce contre-temps. »

Durant une bonne partie de la soirée, Sutton avait réussi avec brio à éviter Dexter. Non pas qu'elle n'ait pas envie de se livrer à son activité préférée, à savoir les chamailleries stupides avec lui, mais elle ne voulait guère se trouver trop près de lui de peur de céder à de multiples tentations qu'il faisait surgir. S'amuser plaisait beaucoup à Sutton, mais elle avait récemment pris conscience qu'il n'y avait plus grand chose d'amusant à tout ça. Il avait trouvé la « femme de sa vie » et allait probablement finir avec toute une tripotée de marmots, ce qui la laisserait elle, Sutton, dans l'embarras et la solitude, son compagnon de jeu devenant trop occupé à changer des couches. Alors elle avait passé la soirée à vagabonder entre Chiles et Sophie, offrant occasionnellement un verre à un illustre inconnu dont l'air hagard l'attendrissait, mais évitant soigneusement la silhouette de Dexter qui se dessinait un peu plus loin. Il en fut ainsi jusqu'à ce que le taux d'alcool présent dans son sang augmente légèrement, la poussant à se montrer plus… audacieuse.

Jetant joyeusement par la fenêtre toutes ses bonnes résolutions, elle finit par se frayer un chemin jusqu'à Dex et se plaça derrière lui sans savoir exactement pourquoi. Il se retourna cependant vers elle, lui épargnant la lourde tâche d'avoir à décider ce qu'elle allait faire ensuite, et elle lui lança un sourire enjoué qui ne dissimulait en rien sa satisfaction. Elle le sentit la tirer vers lui, et décida de se laisser faire, appréciant grandement le tournant que prenait la soirée. « Alors belle brune, on est seule ce soir ? » Eût-elle été plus sobre ou d'humeur moins aguicheuse, elle lui aurait sûrement rétorqué quelque chose concernant le fait que c'était lui qui se trainait un boulet habituellement, pas elle. Mais elle n'était ni sobre ni sage, aussi préféra-t-elle hocher simplement la tête, son sourire s'étirant davantage. Elle ne comprit pas immédiatement ce qui se passa ensuite, mais elle se retrouva bientôt en train de danser avec lui, parfaitement consciente de son corps collé contre le sien, et elle ne put alors que se prêter au jeu. Cela ne dura pas longtemps, cependant, car au bout de quelques instants, elle sentit le corps du jeune homme s'éloigner brusquement, laissant une incroyable sensation de vide. La brunette le vit alors disparaitre parmi la foule, comme tiré par une force invisible à ses yeux, et la frustration que provoqua en elle cette scène la fit éclater de rire.

Lentement, avec l'impression que toute la soirée perdait soudain de son attrait, elle se replia dans un coin légèrement moins bondé de la salle, ses pensées fixées sur ce qui venait de se passer. L'enthousiasme engendré par l'alcool s'était soudainement envolé, laissant place à une grande incertitude. Personne ne semblait approuver la manière dont ils interagissaient. Pour quoi passait-elle ? Peut-être que tout le monde préférait le voir scotché à Isolde plutôt qu'en train de passer cinq minutes agréables avec elle. Elle ne savait plus trop comment elle était censée se comporter dans ce monde où amour et bonheur dégoulinaient de toutes parts. Ses sombres réflexions furent interrompues par le retour inattendu de Dexter face à elle, établissant une proximité semblable à celle qu'ils avaient quelques instants plus tôt. Elle fut cependant un peu longue à réagir, et le froncement de sourcils qui était plaqué sur son visage ne daigna disparaitre que lorsqu'il posa ses mains sur ses hanches. « Désolé pour ce contre-temps. » Elle lui lança un nouveau sourire ravageur et glissa une main autour de son cou, caressant distraitement les cheveux à la base de sa nuque avant de lui lancer avec un clin d'oeil « Bien piètres excuses que voici. »

Dexter était bien ici, dans ce recoin sombre avec Sutton. Quoique cette dernière fronce les sourcils, comme mécontente. Mais, lorsqu'il posa enfin ses mains contre les hanches de la jeune femme, ce visage fermé s'illumina et Sutton lui lança un sourire ravageur en glissant une main autour de son cou. Il pouvait sentir les doigts de la jeune femme s'attarder dans les cheveux à la base de sa nuque, ce qui le fit sourire, tentant de retenir un frisson de plaisir. « Bien piètres excuses que voici. » Il sourit de plus bell, rit même doucement. Dans cette lumière tamisée, le pensées du jeune homme se bousculent un peu trop vite. Il se penche, lui vole un long baiser. Comme à chaque fois, dépasser les interdits avec Sutton ne lui fait pas peur et ne le dérange pas plus que ça. Après tout ils sont amis, et les amis se montrent qu'ils s'aiment pas vrai ?

Il chassa la question d'un revers de la main, et répondit dans un demi sourire « Comme ça c’est mieux ? » Il plongea son regard dans les yeux de Sutton et ajouta « Tu m’aimes ? » Il ne savait pourquoi il avait osé formuler cette question qui le taraudait à chaque fois qu’un peu trop d’alcool circulait dans son sang. Et il le regrettait. Céder à ce jeu stupide du je-t’aime-moi-non-plus en le formulant ainsi était vraiment la plus belle connerie qu’il pouvait faire ce soir de fête. D’ailleurs comment cette phrase lui avait-elle échappé, il était pourtant maître de la situation. Mais tout venait de se renverser soudain.

Il ne laissa rien paraître, comme si le jeu continuait, et pourtant une immense panique le gagnait. Comment pouvait-il à présent se dépatouiller de cette situation ? Qu’ajouter pour rattraper le coup ? Et qu’allait-elle répondre surtout ? Il pensa à lui arracher un autre baiser, lui faire tourner la tête et effacer de sa mémoire alcoolisée cette phrase stupide. Mais la curiosité le poussait à rester planté devant elle, avec son sourire mi-moqueur mi-charmeur, le coeur au bord des lèvres. Vas-y Sutton, dis moi, pensa t-il très fort.

Sutton décida que le baiser qu'ils échangèrent alors, bien que particulièrement aromatisé à l’alcool, demeurait fort satisfaisant. Elle se fichait éperdument de tout ce qui pouvait bien se passer autour d'eux ainsi que du nombre de claques qu'elle méritait pour se comporter de manière aussi déraisonnable. De toute façon, elle n'avait jamais été foutue de se montrer raisonnable, faisant toujours ses choix en fonction de ce qui lui plaisait et non pas nécessairement de ce qui était bien pour elle. Alors autant poursuivre sur sa lancée, surtout si ça lui permettait de partager un petit moment particulièrement agréable avec Dexter. « Comme ça c’est mieux ? » La brunette envisagea brièvement de lui dire que non, c'était nul, mais qu'elle acceptait de lui laisser une seconde chance, histoire qu’il se rattrape. Cependant, il préféra une fois de plus ouvrir sa grande bouche et tout gâcher.

« Tu m’aimes ? » Elle sentit son sourire s'effacer sans qu'elle parvienne à faire quoi que ce soit pour se ressaisir. Ce n'était vraiment pas le genre de questions auxquelles elle aimait répondre, a fortiori lorsqu'elle n'était pas sûre d'être suffisamment lucide pour ne pas faire de gaffe. Elle remercia néanmoins le Ciel de l'avoir empêchée de finir complètement ivre, à déclarer d'elle-même que, aussi bizarre que cela paraisse, elle l'aimait bien trop à son goût. Elle s'efforça d'apaiser la sorte de panique qui s'était emparée d'elle et préféra se concentrer sur l'expression du jeune homme. Il arborait encore et toujours son sourire exaspérant. Il déconnait. Rien de sérieux. Relaxe, Sutton. Permettant à son soulagement de se manifester au moyen d’un large sourire, elle décida de se prêter au jeu, laissant son autre main rejoindre la première autour de son cou, le tirant légèrement vers elle. « Bien sûr que je t’aime, tu sais bien que j’aime tout le monde. »

Se sentant soudainement ridicule et moyennement crédible, elle préféra s’éloigner légèrement de lui, abandonnant tout contact et regardant tout sauf Dexter. Ce jeu allait finir par la lasser. Elle commençait à en avoir assez de n’être qu’une fille avec qui flirter sans que rien ne suive. Elle en avait marre de se poser des questions concernant leur relation, la manière dont il la considérait, ce que les autres en pensaient. Mais elle n’avait certainement pas envie d’être celle qui mettrait fin à ce petit jeu. Aussi préféra-t-elle plonger brièvement son regard dans le sien, juste le temps de poser sa question. « Pourquoi tu me demandes ça ? »

Totalement incapable de comprendre ce qui l'avait poussé à lui poser une pareille question, Dexter décida d'attendre, comme si tout ça n'était qu'un jeu. Mais le sourire de Sutton s'évanouit un peu trop vite, et l'estomac du jeune homme se tordit. Il détourna un instant le regard pour tenter de se ressaisir. C'est alors qu'il rentra dans le rôle du parfait connard et continua de sourire de manière désarmante à la jeune femme, se répétant sans cesse : Ne flanche pas. Et pourtant qu'est ce que ça aurait été facile de se laisser aller... Toutefois il préféra attendre, la gorge nouée qu'elle réponde. C'est alors qu'elle lui sourit, radieuse, et le tira vers elle en passant sa seconde main autour de son cou. Un certain soulagement le gagna bien que l'attente d'une réponse lui était insupportable -ce qu'il n'aurait reconnu pour rien au monde.

« Bien sûr que je t’aime.. » son coeur fit un bon. « ... tu sais bien que j’aime tout le monde. » Son coeur à présent avait atterri dans son estomac. Il détourna son visage de celui de Sutton, cachant à la demoiselle son visage déçu. Il put sentir toutefois le corps de celle ci s’éloigner légèrement. Il déglutit un peu difficilement mais ne décolla pas ses mains des hanches de Sutton accentuant même la pression de peur qu’elle ne lui échappe. Après quelques secondes à éviter de la regarder de peur qu’elle ne lise quelque chose qui le trahisse, il tourna enfin son visage vers elle et abaissa les yeux vers ceux de Sutton.

« Pourquoi tu me demandes ça ? » lui demanda t-elle de but en blanc. Pendant un instant il cru que son visage avait des traits éberlués, mais il se rendit compte finalement après la surprise qu’il affichait tout simplement son visage exaspérant « de protection ». Doucement alors, en plaçant une main aventureuse sur le cou de Sutton il répondit assuré, d’un air presque détestable: « Parce que je t’aime. » L’adrénaline se déchargeait dans ses veines par flot, se mêlant à l’alcool. La réaction était électrique: Dexter repoussa Sutton contre le mur, replaçant ses mains contre ses hanches et l’embrassa langoureusement. Il ne se laisserait pas guider par la panique sous-jacente qui le gagnait.

En toute honnêteté, Sutton savait que quelque chose n’était pas tout à fait normal. Affirmer le contraire aurait été une preuve de stupidité conséquente, et pourtant, elle préféra prétendre ne rien remarquer lorsqu’elle le sentit serrer davantage ses hanches et qu’il détourna la tête. Elle connaissait Dexter. Elle savait qu’il aimait jouer avec le feu, et que l’alcool ne l’encourageait que plus encore à se montrer plus stupide et irresponsable qu’elle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait préféré lui répondre de manière évasive, voire complètement bidon, ne voulant absolument pas prendre le risque de se ridiculiser face à un Dexter hilare et bourré. La suite des évènements, cependant, eut le don de foutre un bordel incroyable dans son esprit tout entier, lui faisant par la même occasion oublier jusqu’à la raison pour laquelle elle n’avait pas été tout à fait franche.

Il se montra relativement audacieux en posant une main sur son cou - bien qu’elle n’eût pas la moindre envie de s’en plaindre - mais, plus encore que son geste, ce furent les mots qu’il prononça qui la choquèrent. « Parce que je t’aime. » Il est évident que le ton exécrable digne du plus puant des hommes peuplant l’univers qu’il employa ne joua pas en sa faveur, procurant à la jeune femme l’étrange sensation de ne pas être quelque chose de très important vu son assurance, il n’empêche que cela eut tout de même le don de lui clouer le bec. Il la repoussa ensuite contre le mur, attrapa à nouveau ses hanches, et l’embrassa d’une manière qui n’avait rien de chaste, sans obtenir néanmoins la moindre réaction de sa part.

Encore légèrement sous le choc, elle mit quelques longues secondes à redescendre sur terre, mais finit par enrouler ses bras autour de son cou, répondant enfin à son baiser. Elle livra ensuite une lutte acharnée dans l’espoir de prendre le dessus, ce qui bien sûr n’arriva pas, et finit par mettre fin à leur ardente effusion de sentiments dans l’espoir de reprendre sa respiration. Elle veilla néanmoins à ne pas trop s’éloigner, de manière à ce qu’elle puisse effleurer ses lèvres des siennes lorsqu’elle lui dit d’une voix particulièrement calme - ce dont elle se félicita : « Redis moi ça quand tu seras sobre, et je te jure que je te croirai. »

Dexter avait peur. Il était rare qu'il l'admette, pourtant ce soir, il en était conscient malgré l'alcool qui filait dans ses veines. De plus, Sutton, et tout ce qu'il avait pu boire ne l'aidait pas à garder son sang froid, à avoir le contrôle maximal de la situation. Dexter jouait avec le feu au risque de se brûler. C'était d'ailleurs l'un de ses passes-temps favoris, surtout lorsque la jolie brune y participait, mais ce soir il était allé trop loin et il s'en rendait enfin compte. Bien sur qu'il avait des sentiments pour Sutton, mais pourquoi se le rappeler, pourquoi l'avouer puisque ce n'était 1) pas viable, 2) pas réciproque, et 3) vouer à l'échec ?

Dexter ne croit pas en l'amour infini et heureux qu'on retrouve dans les contes pour enfants. Dexter est persuadé que l'amour rend faible, détruit chacun des participants de ce jeu malsain, et devrait être interdit pour cause de santé publique. D'où ce refus de se laisser aller... Mais ce soir avec Sutton, les tabous, secrets et autres non-dits paraissent bien loin de son esprit.

Il sentit, alors qu'il l'embrassait avec intensité, que la brunette ne répondait que très peu à ce baiser. Il ne comprenait plus ce qui se passait: ni dans sa tête ni dans celle de Sutton, qui habituellement il arrivait à cerner à peu près. Il ne se laissa toutefois pas déstabiliser et continua son affaire. Ses mains parcouraient le corps de Sutton, qu'elles connaissaient d'ailleurs plutôt bien, réalisant une douce pression sur les hanches de la demoiselle, remontant une main dans son dos pour venir soutenir sa nuque, ses doigts se mêlant avec délicatesse aux cheveux de la demoiselle. Elle parut enfin atterrir : elle enroula enfin ses bras autour du cou de Dexter et participa aux grandes effusions de sentiments avec ardeur et passion.

Et soudain, sans crier gare, elle recula. Sans réellement s'éloigner, mais sans de possibilité pour Dexter de la faire céder. Elle paraissait lointaine. Dexter nota enfin qu'elle avait pris le dessus: il n'avait plus la main, elle pouvait à présent l'écraser. Qu'est ce qui lui avait pris de lui dire ça ?! Avait-il perdu la tête ? Très certainement. C'est alors qu'elle prononça ces quelques mots, ses lèvres frôlant celles de Dexter, et son souffle caressant sa peau. « Redis moi ça quand tu seras sobre, et je te jure que je te croirai. » Son coeur bondit. Cela avait-il une quelconque signification ? Essayait-elle de lui faire repasser un message ?

Le visage de Dexter se ferma. Elle était allée trop loin ce soir. Elle l'avait eu. Emprisonné tel un papillon que les enfants attrapent puis conservent dans un pot à confiture comme souvenir. Ce fut à son tour de se reculer sensiblement. Ses mains quittèrent le corps de Sutton. Il encadra de ses bras la demoiselle en s'appuyant contre le mur derrière elle. Et d'un air victorieux, ce qu'il savait faux, et presque détestable tant il paraissait assuré et satisfait, il dit. « Et pourquoi je te le dirais Sutton ? »

Il fit volte face, parti en direction du bar, en riant fort comme si tout allait pour le mieux, et hurla « Je paye ma tournée ! » tout en laissant sortir des éclats de rire exagérés. Game over, Mister Hawkins, vous avez totalement donné, et voyez ce qu’il se passe, se dit-il. La prochaine fois, si il y en a une vous f’rez mieux.