I guess I'm young but I feel so weary (emma)

En toute honnêteté, Sutton ignorait pourquoi c'était vers Emma qu'elle s'était tournée pour s'éloigner de l'atmosphère étouffante qui régnait durant les préparatifs. Habituellement, elle était plutôt du genre à éviter de se retrouver seule avec la jeune femme quand elle ne se sentait pas d'attaque à repousser ses tentatives désespérées de creuser un peu les défenses de Sutty, de peur de finir par lui déblatérer toute sa vie avec une fluidité scandaleuse. Mais, à cet instant précis de son séjour, la brunette ressentait le besoin urgent de s'évader cinq minutes avec une copine histoire de se débarrasser de l'ambiance hystérico-amoureuse qui planait partout où elle vagabondait. Ce fut ainsi que la jeune femme se retrouva assise en face d'une place vide - réservée à Emma qui ne semblait pas pressée d'arriver - à dessiner distraitement diverses formes sur la serviette en papier qu’elle avait trouvée sur la table en arrivant. Elle jeta un coup d’oeil vaguement dégouté au paquet de cigarettes qui trônait devant elle, la mettant ouvertement au défi d’en fumer une, mais elle décida qu’elle n’était pas dans un état suffisamment déplorable pour céder à une telle tentation. Plus tard peut-être. Jamais en journée. Jamais au vu et au su de tous.
Elle avait eu une rude nuit, ponctuée de divers mauvais rêves, et s’était levée tôt, envoyant dans la foulée un sms à sa fidèle pseudo-psychiatre histoire de s’aérer. Elle n’avait pas prévu de se retrouver devant un verre, aurait sans doute préféré s’affaler sur l’herbe dans un coin tranquille histoire de papoter, mais après réflexion, elle réalisa que boire un verre était de loin l’activité préférée des Romantics, et que c’était très bien comme ça. Ce fut le léger courant d’air qui ébouriffa ses cheveux qui lui indiqua que quelqu’un venait de se glisser dans le dinner presque désert en cette jolie journée automnale. Sutton esquissa un sourire sans même quitter la serviette des yeux, devinant l’identité de la nouvelle venue dès qu’elle entendit les pieds de la chaise face à elle glisser sur le sol. « C’est à cette heure qu’on se pointe ? »

Emma avait encore du mal à y croire. Sutton lui avait envoyé un message à elle. C'est pas anormal pour les jeunes femmes de s'échanger des textos plus ou moins débiles d'ailleurs, mais jamais la jeune femme ne lui avait envoyé un message l'intimant de la rejoindre pour aller boire un verre. A vrai dire, elle n'avait pas trouvé ça bizarre avant de croiser Percy et Dex qui allaient dans le sens opposé. Elle en avait déduit que les deux jeunes femmes seraient seules et c'est ça qu'elle trouvait bizarre. D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Sutton avait mis un point d'honneur à ne pas se retrouver seule dans la même salle qu'Emma. Elle était du coup légèrement stressée, s'attendant déjà au pire. Les scénarios s'enchainaient dans sa tête, ne laissant pas le temps à la jeune femme de calmer ses nerfs. Elle s'était même mise à courir dans la rue, mais sa maladresse s'était sentie obligé de se manifester et Emma avait renverser son sac à main sur la chaussée. Ses tampons avaient trouvé leur chemin vers un garçon charmant, qu'Emma ne pourra plus jamais avoir dans son lit.

Elle se remis pourtant très vite de sa honte quand elle repensa à Sutton et s'empressa de se remettre à courir pour atteindre le petit bar plus rapidement. Elle arriva enfin deux minutes plus tard et ouvrit la porte manquant de frapper, par la même occasion, la personne installée derrière. Elle repéra très vite la jolie brune aux yeux verts et s'installa en face d'elle. Elle tenta de reprendre son souffle.« J'aurais pu arriver plus vite, mais... Sac... Canon... Tampon... »Ca n'avait absolument aucun sens et Emma pris le verre de Sutton qu'elle avala d'une traite, reprenant enfin un rythme cardiaque normal. « Mes tampons sont tombés dans la rue et le cousin canon de Graham me les a ramassé. » Elle commanda un nouveau verre. « Mais peu importe. Qu'est ce qui se passe ? »

La jeune femme ne daigna relever la tête que lorsqu’elle entendit la respiration haletante de son amie, et elle ne put alors retenir un sourire amusé. Sourire qui fut vite remplacé par un froncement de sourcils perplexe alors qu’elle tentait de déchiffrer les premières paroles qu’Emma lui lança à un rythme saccadé. Elle parvint à isoler clairement les termes canon et tampon, sans doute à cause de la rime, mais elle ne s’obstina néanmoins pas, préférant fixer d’un regard médusé sa super copine avaler le contenu de son verre. La brunette se mit alors à attendre patiemment que son interlocutrice se remette de ses aventures visiblement éprouvantes et lui lança un sourire encourageant lorsque cela fut fait. « J'aurais pu arriver plus vite, mais... Sac... Canon... Tampon... » Cela fut plus fort qu’elle. Sutton explosa de rire, s’attirant au passage les regards intrigués des quelques clients présents. Emma avait ce don particulièrement agréable d’illuminer la journée de n’importe qui, bien que cela fût à ses dépends. Incapable d’en placer une et au bord de l’étouffement, Sutton fit un geste au serveur dans l’espoir d’obtenir un nouveau verre. Les mots qui suivirent parvinrent cependant à la rendre à nouveau sérieuse. « Mais peu importe. Qu'est ce qui se passe ? »

La jeune femme se retrouva alors à éviter le regard d’Emma, ne réalisant qu’à cet instant à quel point il avait été peu subtil de sa part de l’inviter ainsi alors qu’elle passait son temps à éviter d’être seule avec elle. « Pourquoi se passerait-il quelque chose ? Peut-être avais-je juste envie de papoter un peu ? » Elle se mit à tripoter le verre plein qui venait de lui être apporté, à jeter de furtifs coups d’oeil au paquet de cigarettes qui la narguait toujours, à repositionner frénétiquement la serviette en papier couverte de graffitis à un angle qui lui convenait, sans savoir réellement quoi dire. Se cacher derrière un joli sourire ne marchait plus avec Emma, et elle-même ne savait pas si elle avait tant envie que ça de se cacher. La vérité, c’était que Sutton était mal à l’aise. Se retrouver ainsi sur une île pour un mariage, entourée de nombreux couples, dont un en particulier la dérangeait allègrement, à passer son temps à tout remettre en question avait eu le don de bouleverser un peu l’air rayonnant qui la caractérisait si souvent. Elle n’était juste pas prête à l’admettre, préférait simplement se réfugier dans les jupes de celle à qui tout le monde se confiait. Replongeant son regard dans celui de sa maladroite d’amie, ce fut alors naturellement qu’elle lui lança avec un clin d'oeil enjoué : « Mais parle-moi un peu de ce fameux cousin. Tu as le chic pour aborder les gens de façon... intéressante. »