Close your eyes and they'll all be goneL'air frais qui parcourait la gare lui mordait les joues sans même que Sutton réagisse. Elle était assise sur ce même banc depuis deux heures déjà, à se demander ce qu'elle était censée faire. Elle avait quinze ans, et sa vie venait de prendre un tournant particulièrement douloureux. Le regard vide, elle se demandait si elle avait fait le bon choix. Et puis elle se remémora les évènements de ces derniers mois. Comment tout commença avec quelques gestes, une caresse, un baiser déposé sur son épaule, avant que les attouchements deviennent plus insistants, plus audacieux, plus déplacés. La perplexité dans laquelle elle se trouva au début, puis sa détresse. Et enfin, la honte. Elle se taisait, se réfugiait dans un silence qui ne faisait que l'encourager, lui, son propre beau-père, à continuer. À aller plus loin, même. Ce ne fut qu'après plusieurs mois qu'elle finit par se rebeller. Il était allé bien trop loin, l'avait forcée à faire des choses qui la répugnaient, lui avait
fait des choses qui la répugneraient encore des années plus tard. Alors elle s'était débattue, avait tenté de lui asséner autant de coups que son petit corps le permettait, mais cela n'avait fait qu'empirer les choses. Il était devenu violent, avait laissé de terribles traces sur tout le corps de Sutton, qui pour la première fois avait osé en parler à sa mère.
Cette dernière se montra abasourdie lorsque la brunette lui montra un à un ses bleus, qu'elle lui expliqua en s'efforçant de ne pas pleurer tout ce qui s'était passé. Elle lui promit qu'elle allait se débarrasser de lui. Que plus jamais il ne toucherait sa princesse. Et Sutton y crut. Le premier soir, elle entendit la violente dispute qui éclata tandis qu'elle faisait mine de dormir paisiblement. Le deuxième soir, ce fut un silence total qui plana dans la maison, témoignant de la tension qui régnait entre sa mère et son monstre. Le troisième soir, elle plaqua son oreiller sur ses oreilles pour essayer de ne pas entendre les bruits de la réconciliation qui s'ensuivit. Et puis au matin du huitième jour, elle entendit les cris hystériques de sa mère qui venait d'apprendre qu'elle était enceinte de deux mois. La nuit qui suivit fut celle où elle prit la décision la plus difficile de toute son existence. Tirant un trait sur tout ce qui s'était passé, elle laissa toutes ses affaires bien en place dans sa chambre et quitta la maison à cinq heures du matin, dans un silence particulièrement bienvenue. Et voilà qu'elle se trouvait à la gare, à attendre le train qui la mènerait chez son père.
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Life at night is always finerCet Edgar - ou peut-être était-ce Edward, ou Oscar, elle n’en savait rien et s’en fichait pas mal - lui tapait sur le système. C’était le troisième verre qu’il lui offrait, et déjà ses mains commençaient à se balader un peu partout sur le corps d’une Sutton quelque peu ivre. Ce qui la dérangeait le plus, c’était simplement qu’elle aurait aimé que ce soit quelqu’un d’autre qui la touche ainsi. Mais peu importait. Elle allait faire avec ce qu’elle avait sous la main. Finissant son verre d’une seule traite, elle se leva avec un air décidé plaqué sur son visage, et s’empara de la main de son inconnu du jour, jetant un coup d’oeil furtif dans la direction de Dexter avant de s’échapper de l’atmosphère étouffante du bar, ses doigts serrant toujours fermement la main de sa conquête. Ce qui se passa ensuite restera à jamais un peu flou dans l’esprit de la jeune femme. Ce qui était sûr, c’est qu’elle avait couché avec lui. Ce qui était également sûr, c’est qu’elle n’avait pas franchement apprécié ça, malgré tout ce qu’elle affirma dans un sms envoyé à Louis alors qu’elle était encore passablement ivre, et dans lequel elle compta le lendemain une bonne demi douzaine de fautes en le relisant dans l’espoir d’oublier sa migraine et sa déception.
Ce fut une Sophie luttant pour enfiler son pantalon qui l’extirpa du lit, lui hurlant à la figure qu’elles étaient en retard et que, cassée ou pas cassée, Sutton allait se rendre à ce « foutu brunch, nom d’un chien. » L’intéressée se rebella, grogna, se raccrocha à son oreiller, mais sentit bien vite les mains glacées de son amie se refermer autour de ses chevilles et la tirer violemment hors du lit, se fichant éperdument de la personne qui ronflait d’une manière tout à fait écoeurante aux côtés de Sutty. Le trajet qui les mena à leur destination fut particulièrement silencieux, la brunette maugréant de temps à autres tout en fusillant du regard tout ce qui l’entourait.
« Tu n’as pas fait beaucoup de bruit, cette nuit. » La remarque avait été faite sur un ton léger et détaché, mais cela ne contribua que davantage à renfrogner Sutton.
« Tais-toi. » La bouderie ne put cependant se prolonger bien longtemps. À peine arrivée à destination, la jeune femme se jeta sur une chaise, prétextant avoir un mal de pieds colossal, s’isolant radicalement du reste du groupe sans pour autant se détacher de son sourire fraichement retrouvé. Elle ferma les yeux, décrétant qu’elle avait besoin de dormir pendant les trois prochaines semaines sans que personne ne l’importune. Ce qui était, bien entendu, impossible.
« Tu ressembles vaguement à un zombie. Pour changer. » Dexter. Génial. Rouvrant les yeux, elle se rendit compte qu'il s'était assis en face d'elle, et elle le fixa alors durant quelques instants avec son sourire de petite peste.
« Je n’ai pas franchement eu l’occasion de dormir cette nuit, moi. » Dexter haussa les sourcils, ce qu’elle interpréta très aisément comme un signe de moquerie et aussi un peu de mépris.
« Et c’était bien ? » « Très. » Elle avait espéré mettre ainsi fin à la conversation, mais il semblait être dans l’un de ces jours abominables où il ne vivait que pour faire chier les gens.
« C’est vrai que tu as l’air très épanouie là... Tu es tombée bien bas pour en arriver à prendre ton pied avec ce genre de mecs. » Son sang ne fit qu’un tour. Elle se pencha vers lui afin d’éviter que d’autres personnes entendent ses propos et laissa sa mauvaise humeur s’immiscer dans sa voix.
« Je me dis exactement la même chose à chaque fois que je couche avec toi. » Elle ne parvint pas à déchiffrer son expression, mais elle regretta néanmoins ses paroles. Pas pour longtemps, cependant.
« Notons néanmoins que de nous deux, je suis le seul à parvenir à garder la même personne dans mon lit pendant plus d’une soirée. Je me demande ce que ça fait de faire fuir les gens...» « Et moi je me demande ce que ça fait de coucher avec une coincée. » « Ne te dénigre pas tant, Sutton, ce n’est pas parce que tu n’es pas mon meilleur coup qu’il faut te considérer comme coincée. » Elle rit alors d’un rire sans joie, se retenant difficilement de le traiter de tous les noms.
« Ou alors c’est juste que ton pénis est trop insignifiant pour parvenir à décoincer qui que ce soit. Je plains vraiment ta copine. » « Fiancée. » Sutton resta silencieuse quelques instants, clignant stupidement des yeux comme si elle essayait d’assimiler quelque chose de trop compliqué pour elle.
« Pardon ? » « Fiancée. » Il parlait avec tellement de satisfaction que c’en était affligeant.
« Isolde et moi sommes fiancés. » Le choc qu’elle éprouva fut de taille, mais la jeune femme parvint tout de même à se ressaisir, posant une main qui se voulait compatissante sur la sienne, accompagnée d’un regard navré.
« Je suis sincèrement désolée Dexter. Je ne pensais pas que tu étais con à ce point. »