ROBYN ✿ L'avantage d'être intelligent, c'est qu'on peut toujours faire l'imbécile, alors que l'inverse est totalement impossible.

La gamine soupira, incapable de se défaire de l'emprise que la simple vue de cette robe, à travers la vitrine de ce grand magasin, exerçait sur elle. Du haut de ses neuf petites années, elle rêvait de paillettes, de gloire et d'une vie meilleure. Elle soupira une nouvelle fois, s'imaginant parfaitement, quelques années plus tard, enfiler cette robe hors de prix. La plus belle robe qu'elle n'ait jamais vu de sa vie. Dans cette robe, la plus moche des filles devait être aussi belle qu'une princesse.. « - KELLY BOUGES TON C*L ON EST PAS LA POUR FAIRE LES MAGASINS ! ». Dur retours à la réalité. La prénommée Kelly quitta la merveille des yeux pour poser son regard sur sa génitrice... Cette femme épuisée par la vie. Cette femme criarde. Cette femme qui manquait terriblement de style et ne prenait pas soin d'elle. Cette femme avec beaucoup trop de kilos en trop. Cette femme qui en voulait à sa gamine de lui avoir volé sa jeunesse et sa liberté. La petite blonde ne bougea pourtant pas d'un cil, détournant son regard pour retourner au pays des rêves et s'imaginer dans cette merveilleuse robe... Pourtant, ça ne dura pas bien longtemps. Du moins, jusqu'au moment où elle sentit une masse empoigner beaucoup trop fermement son poignet d'enfant et la trainer jusqu'au bout de la rue. « - TU M’ÉCOUTES QUAND JE TE PARLE, OUI ?!? ». Sa mère, évidemment. La vie était dure. La vie est morose. La vie était triste. La petite avait beau se plaindre du mal qu'engendrait la pression de la main de sa mère autours de son poignet, cette dernière n'en avait rien à faire et continuait à tracer son chemin, rageusement. Elle s'arrêta quelques mètres plus loin, au moment où elles arrivèrent devant leur... voiture... du moins ce qui semblait être une voiture. Cette vieille bagnole était à l'image de tous ce qu'elles possédaient : une vraie misère. La petite blonde grimpa rapidement dans la voiture, sa mère en faisant de même.
Le silence, toujours le silence.
Quelqu'un d'extérieur aurait pu se poser des questions quant à la capacité de cette gamine à parler. Était-elle muette ? Non, c'était simplement que depuis enfant, elle avait appris que moins elle en disait, moins sa mère portait son attention sur elle, mieux cela était. Sa mère démarra et comme à chaque fois qu'elle se retrouvait dans cette vieille voiture, alluma une cigarette, manquant d'écraser une bonne dizaine de piétons. Pour une fois, elle ne disait rien, elle ne se plaignait même pas, mais Kelly savait que ce n'était que de courte durée... elle avait raison puisque quelques secondes plus tard, à un feu rouge : « - C'est quoi ça ? ». La gamine baissa les yeux, portant son attention sur le petit collier qui pendait à son coup. « - Un cadeau... ». Sa voix guillerette trahissait cette peur qu'elle éprouvait face à cette mère un peu trop tyrannique. « - Un cadeau ? », et elle partit à rire, se moquant ouvertement de la gamine qui se sentait honteuse tout d'un coup. « - Qui pourrait bien vouloir offrir un cadeau à une pouffiasse dans ton genre ? ». Kelly avait beau avoir l'habitude de ce genre d'attaques, à chaque fois les paroles de sa mère s'imprimaient au plus profond de son âme, enlevant, à chaque mot, un peu plus du peu d'estimation qu'elle avait d'elle-même. « - Joan... ». Sa voix n'était qu'un murmure, un léger souffle. Le feu passa au vert et sa mère la quitta du regard, appuyant sur la pédale d'accélération. La tension était palpable. « - C'est qui ce couillon ? ». Joan était un camarade de sa classe. Un garçon. Le seul qui ne la prenait pas pour une folle dans son école. Le seul qui était venu vers elle. Le seul qui l'avait aidé. Le seul à lui redonner espoir. Le seul qui avait réussi à lui faire croire à un avenir meilleur. Il était devenu son essentiel... mais sa mère n'aurait pas compris, alors elle se contenta de dire : « - Un garçon de ma classe... ». Elle n'aurait peut-être pas du puisque sa génitrice donna un violent coup de volent et se gara près du trottoir, écrasant sa cigarette presque terminée à même le tableau de bord. Elle plongea son regard dans celui de sa fille et ouvrit la bouche : « - Les garçons sont des salops, des connards, tu ne peux pas compter sur eux et encore moins accepter un cadeau de leur part. Je t'interdis de parler à ce Joan, je t'interdis même de la regarder ou de penser à lui. ». Elle attrapa alors le collier et tira de toute ses forces dessus. Évidemment, Kelly tenta de l'en empêcher, mais la force d'une gamine de huit ans n''égalait pas celle d'une femme de plus de trente ans. « - NOOONN ! ». La gamine regardait, la mort dans l'âme, le collier brisé dans les mains de sa mère. Son cœur se fendit en deux et elle sentit les larmes lui monter aux yeux. « - Je t'interdis de pleurer. ». Sa mère était ferme, pas moyen pour elle de lui désobéir. Alors, la femme balança le collier par la vitre ouverte et démarra la voiture. Kelly s'enfonça un peu plus dans son siège, observant d'un œil mauvais ce tyran. Elle se fit alors une promesse qui resta graver en elle pour toujours : jamais, ô grand jamais elle ne serait comme sa mère. Plus tard, elle aura une belle vie, elle sera cette fille que tout le monde enviera... oui, plus tard, elle aura tous ce qu'elle voudra !

La porte s'ouvrit et tous les regards se posèrent alors sur la silhouette parfaite de l'adolescente. Elle le savait. Elle savait parfaitement que chaque personne présente dans ce couloir allait la regarder, l'admirer. Et elle aimait ça. Alors, elle marchait la tête haute, de cette allure gracieuse et presque provocante. Perchée sur ses hauts talons, on lui aurait facilement donné la vingtaine. Et pourtant, elle était seulement âgée de seize ans. Celle que l'on appelait Robyn depuis de nombreuses années était la fille la plus populaire du lycée. Pourtant, alors qu'elle déambulait dans ce couloir, imposant un certain respect, certaines questions demeuraient sans réponses. D'où venait-elle ? Qui était-elle vraiment ? Était-elle riche ? Avait-elle des frères et sœurs ? Vivre dans une grande ville a pour avantage de rapidement se faire oublier et ainsi se bâtir une nouvelle image. Dès lors que Robyn était entrée dans l'adolescence, elle s'était prise en main. Elle n'avait qu'une seule parole et la promesse qu'elle s'était faite gamine était encrée dans son esprit. Je ne deviendrais pas comme ma mère. Je ne serais jamais une perdante comme elle. Alors, s'en était fini de la petite Kelly, désormais, elle se faisait appeler par son deuxième prénom comme pour effacer d'un trait son passé bien trop sombre. Elle laissait cependant planer un certain mystère sur sa personne, en dévoilant le moins possible. Cela attisait l'intérêt et la curiosité et puis avouons-le, les garçons trouvaient cela très sexy ! Et elle aimait ça Robyn. Elle aimait savoir que les filles la jalousaient, que les garçons rêvaient d'elle. Elle s'était forgée cette image et elle n'était pas décidée à redevenir cette gamine martyrisée par sa génitrice. Alors elle travaillait. Elle travaillait dur pour se payer de beaux vêtements, pour aider sa grand-mère chez qui elle vivait désormais, à payer le loyer, pour se donner l'image d'une fille aisée.
Alors vînt la fin de son défilé. La demoiselle s'arrêta devant un groupe de filles, toutes plus ravissantes les unes que les autres. Pourtant, c'était elle la plus belle, c'était elle la plus respectée. Elle le savait et s'était battue pour avoir cette place de choix. « - Hey Rob', tu as déjà acheté ta robe pour le bal de promo ? ». Un sourire se dessina alors sur le visage de la blonde. Bien sûr qu'elle savait quelle robe elle allait mettre. Elle l'avait prévu depuis très longtemps. C'était comme si toute sa vie avait été tracée pour cela. C'était cette robe. Cette robe dont elle rêvait depuis le jour de ses neuf ans. Cette robe hors de prix qu'elle regardait chaque après midi lorsqu'elle était gosse, au travers de la vitrine d'un magasin qui n'appartenait pas à son monde. Elle avait soulevé des pieds et des mains pour retrouver cette vieille robe et déterminée comme pas deux, elle avait fini par la trouver. « - Bien sûr ! Et croyez-moi les filles, samedi soir, je serais la plus belle ! ». Certain auraient pu trouver cette réflexion déplacée, d'autres la trouvaient réalistes. Robyn ne faisait pas l'unanimité, mais elle imposait un certain respect. Et c'était le principal finalement. Ses copines se mirent donc à rire et à lui demander toutes sortes de détails sur la fameuse robe. Bien sûr, elle en donna le moins possible, s'enivrant de toute cette fougue à son égard. C'était si bon. C'était si bon d'avoir le respect des autres, d'être aimée...


Aujourd'hui, la vie sourit à Robyn. Dès lors qu'elle prit sa vie en main, ce fut comme si une bonne étoile brillait au dessus de sa tête. Elle n'était plus cette gamine timide, réservée et peureuse, non elle croquait la vie à pleine dent. Elle avait tout pour plaire, l'intelligence, la beauté, la détermination. Elle intégra alors l'université de Columbia, étudiant avec un certain talent l'art de la couture et du stylisme. Elle fut ensuite embauchée par une grande agence de haute couture et fit rapidement ses marques. Bien sûr, elle n'est encore qu'assistante, elle se charge des retouches et donne son avis sur les vêtements, mais elle ne va pas tarder à monter en grade. C'est elle qui a en partie travaillé sur les robes pour le mariage de Sophie. C'est pour cela qu'elle se trouve sur le lieu du mariage aujourd'hui, pour faire des retouches sur la robe de Sophie et également les robes des demoiselles d'honneurs et de la famille. Oui, Robyn a tout pour être heureuse, mais n'oublions pas que son bonheur, elle est allée le chercher elle-même.